Séance de travail

Faisceaux lumineux. Musique mise à fond. Ambiance phénoménale. Foule en délire. C’étaient les seuls souvenirs qui me revinrent en tête lorsque je me réveillai. Je me frottai frénétiquement les yeux dans le but de me redonner un peu plus de pêche. Dans un état comateux, je laissai mon regard parcourir la pièce dans laquelle je me trouvai. Les murs étaient peints d’une couleur abominable. Rose fuchsia. Je fronçai les sourcils tout en continuant mon observation. Sur une commode étaient entreposés toutes sortes de produits de beauté tels que du maquillage, de la laque pour les cheveux, des dizaines de flacons de parfums et encore bien d’autres dont je ne connaissais pas le nom. Bon sang, mais qu’est-ce que j’avais foutu ?! Et surtout, où est-ce que j'étais ? Perplexe, je regardai le bras fragile qui m’entourait la taille de façon assez possessive. Mon regard se posa sur le visage d’une jeune fille, nue bien évidemment, étendue de tout son long à mes côtés. Un sentiment de bien-être se peignait sur son doux visage. Il faut croire que nous avions passé une bonne soirée dans ce cas. Je souris à l’idée d’avoir fait une heureuse ici-bas. Beaucoup de gens ne comprenait pas notre mode de vie. J’utilise le possessif « notre » parce qu’il faut se rendre à l’évidence : je ne suis pas le seul à enchaîner conquêtes sur conquêtes et à succomber facilement à la tentation que nous inflige l’alcool, les fêtes, ce domaine de débauche que je devrais tant repousser. Mais vous savez, c’est un combat difficile. Une fois qu’on est pris dans cette spirale infernale, il est dur d’en sortir. A moins d’être doté d’une volonté surdimensionnée et dans mon cas, ce n’est pas trop le cas. Néanmoins, j’essaye de combiner les fêtes et les études, défi que je me suis en quelque sorte lancé à moi-même. Etant quelqu’un d’obstiné, je ferai tout ce qu’il est en mon possible pour y parvenir. Par exemple, j’ai demandé de l’aide à un gars, Martin, pour m’aider dans les –nombreuses- matières dans lesquelles j’ai du mal. Il me donne cours et … Cours ? Martin ? Sous l’effet du stress et de la pression, mon rythme cardiaque accéléra. Je pris subitement mon Blackberry posé sur la table de nuit. 10h30. Je laissai échapper malencontreusement un juron. J’étais en retard. Comme d’habitude me diriez-vous. Et moi qui voulais changer. Devenir responsable. Réagir en tant qu’adulte et non comme un adolescent. C’était peine perdue. Tout en poussant un soupir, je me débarrassais du bras posé sur moi et me levai en quatrième vitesse du lit. Enfilant à toute vitesse mes vêtements, je jetai des coups d’œil furtif à l’heure qui ne cessait d’avancer comme pour me narguer. Me rappeler que je ne saurai jamais parvenir à mûrir et grandir. Sautillant pour faire rentrer mon satané pied dans ma chaussure, je réveillai bien malgré moi la charmante inconnue. Elle fit la moue visiblement sortie d’un beau rêve. Elle me regarda tout en esquissant un faible sourire. Une petite partie au fond de moi aurait bien voulu rester. Me recoucher à ses côtés et profiter encore de ma jeunesse pendant que j’en avais encore le temps. Mais un simple regard à l’heure me rappela la raison pour laquelle je m’étais inscrit à Columbia. Je lui murmurai un simple « Désolé, mais le devoir m’appelle » et sortis en trombe de la chambre.

Ma voiture n’était pas garée dehors. Je me maudissais intérieurement. J’avais certainement dû la laisser dans le parking de la boîte dans laquelle j’avais passé ma soirée. Enfin du moins, je l’espérais. Je me mis à courir tout en priant pour que Martin soit toujours à la bibliothèque. Il serait énervé. J’en étais sûr. Quoi de plus normal en fait. Ce n’est pas la première fois que je lui faisais le coup. En fait, je me demande très sincèrement comme il fait pour me supporter. A sa place, je me serai envoyé paître depuis un bon moment ! Ce mec, je l’admire. Sérieusement. Parce que faire ce qu’il fait, c’est incroyable. Peut-être que vous vous dites que je m’emballe pour un rien. Que des gens qui aident les autres, on peut en croiser à chaque coin de rue. Peut-être que vous avez raison. Mais Martin est bien le seul avoir accepté ma demande. Alors bien qu’il me sermonne toujours pour mes énormes retards, qu’il tente de me faire changer, je lui dois énormément.

J’arrivai enfin à la bibliothèque, complètement exténué. Reprenant mon souffle, je rentrai dans ce lieu de prédilection pour les élèves modèles et autres intellos en tout genre. Un silence de plomb y régnait, seul le bruit des pages que l’on tourne venait troubler ce calme reposant. Je cherchai du regard mon ami. Je le vis, là assis à une table. Je croisai son regard. Déception. Colère. Je soupirai. Génial. Je me préparais déjà à son discours et ses reproches sur mon retard. Chemise à moitié ouverte, cheveux en bataille, cernes témoignant de la soirée démente que j’avais passé la veille, je m’avançai d’un pas assuré vers l’endroit où il était installé. Je m’assis en face de lui et lui sourit, gêné.

- Excuse-moi pour le retard. Je … J’étais … occupé on va dire ça comme ça. Mais bon, le plus important c’est que je suis là non ?

Je me penchai sur le côté pour prendre mes livres imaginaires. Je me tapai le front de la paume de ma main. Merde ! Mes livres ! Je regardai Martin, ne savant plus où me mettre, un mal l’aise se lisant sur mon visage.

- J’ai oublié de prendre mes livres, tu pourrais me prêter les tiens ?

Décidemment, j’étais vraiment le pire élève que l’on pouvait avoir !

- Je te promets, la prochaine fois que tu es en retard ou que tu oublies tes affaires, je ne t'attendrai pas.

Je pris un air faussement étonné. Combien de fois ne l’avais-je pas entendu cette menace ? Je n’osais même plus les compter. A force de m’en bassiner les oreilles, cette phrase sensée me faire bouger un peu et me mettre la pression, ne m’affectait plus comme auparavant. A vrai dire, je pense qu’elle ne m’a jamais vraiment fait un quelconque effet. J’ai toujours été de nature très « je m’en foutiste ». Si Martin me laissait tomber et partait réellement comme il ne cessait de me le dire, je pense que j’essaierai de m’arranger autrement, faisant comme si de rien n’était. Masi d’un autre côté, je serais touché par ce départ, je l’avoue. Après tout, Martin est bien l’une des rares personnes à bien vouloir m’aider. Et rien que pour cela, je l’en remercie. Même si je sais très bien que je n’en donne pas l’air, il m’apporte beaucoup. Son travail porte ses fruits. Peut-être qu’il ne le remarque pas, mais moi, je le sens. Je l’ai remarqué. Adolescent, les études étaient pour moi synonyme de supplice. Je me rendais que très rarement en cours, préférant de loin les biens-faits d’une bouteille de vodka, whisky ou autre alcool fort. Traînant dans les rues avec mes amis, nous faisions toutes sortes de conneries. J’étais un réel enfant à problèmes. Pour moi, c’était ma vie. Mes choix. Mon avenir. Et je décidai moi-même de ce que je faisais de ma vie. Ma mère ne s’était jamais opposée à moi. Elle ne m’avait jamais contredit. Lorsqu’elle me regardait dans les yeux, tout ce que je voyais dans les siens était la peur. J’étais jeune, insouciant et immature. Le fait que ma mère avait peur de moi était tout simplement jouissif. Je profitai de ce pouvoir, de cette liberté précoce avec un excès démesuré. Jusqu’au jour où j’ai fini le reste d’une soirée derrière les barreaux. Ce jour-là, j’ai compris que si je ne changeais pas, je finirai mal. Comme un moins que rien. Je me suis repris en main. Ma mère était fière de moi. Elle croyait que c’était un miracle. Un renouveau. J’ai souvent cru qu’elle disait cela sous le fruit de la folie. Mais au final, elle a raison. C’est un miracle.

Je regardai Martin, d’un œil attentif, lorsque celui me demanda si j’avais bien fait mes devoirs de français qu’il m’avait donné à faire lors du dernier cours que nous avions eu. Mes yeux cherchèrent ensuite un autre endroit à fixer, ne pouvant plus supporter le regard pesant de Martin. Les devoirs de français. C’était quoi encore ? Je ne me souvenais même plus sur quoi c’était porté. Un faible sourire se dessina sur mes lèvres. J’étais désespérant. Enfin, voyons le bon côté des choses, je m’en rendais compte. Bon, fallait que je trouve une excuse à lui dire. Ou alors, lui mentir. Lui dire que je l’avais fait, mais que les réponses ne me revenaient plus. J’hésitai un long moment et puis décidai d’opter pour la deuxième option. Après tout, je ne m’en souvenais plus du tout de ce devoir. Cette perte de mémoire serait tout à fait crédible suite à cette affreuse gueule de bois que je m’étais ramassée.

- Bien sûr, dis-je avec un sale accent français. Mais je me souviens plus du tout des réponses. J’ai beau me creuser les méninges, ça ne me revient pas !

Je le regardai en souriant, espérant qu’il gobe cet énorme mensonge ou du moins, qu’il fera l’impasse. Comme toutes les autres fois ou je ne les avais pas faits. Je m’intéressai au livre qu’il avait placé entre nous deux. Je me concentrai pour déchiffrer ce qu’il y était écrit. Les mots n’avaient décidément aucun sens pour moi. Parfois, je me demandais quelle mouche m’avait piquée pour avoir pris cette langue étrangère. La grammaire était compliquée ! L’orthographe, pire encore ! Je regrettais vraiment. Je pense en fait, que je l’ai prise pour ma mère. Celle-ci étant elle-même française, je devais tout de même apprendre sa langue maternelle. Aujourd’hui, je lui en veux un peu de ne jamais avoir pris la peine de me parler en français. J’aurais pu être excellent !

- Aaaah, la France, j’aimerais tellement y aller. On dit que les Françaises sont de très belles filles, j’ai envie de vérifier ces dires, dis-je avec un sourire charmeur, tentant de détendre l’atmosphère.